Joseph Oughourlian : le président discret de Lens devenu frondeur du football français

À la tête du RC Lens depuis 2016, l’homme d’affaires franco-libanais Joseph Oughourlian est sorti de l’ombre en s’imposant comme l’un des contestataires les plus virulents dans le dossier brûlant des droits TV de la Ligue 1. Portrait d’un investisseur activiste qui ne craint ni les puissants, ni les tabous.
Un président qui brise le silence
Longtemps resté dans l’ombre du RC Lens, Joseph Oughourlian est désormais l’un des visages les plus audibles de la contestation dans le football professionnel français. Peu enclin aux projecteurs, le président lensois est pourtant devenu l’un des meneurs de la fronde contre la gestion de la Ligue de football professionnel (LFP), notamment sur le dossier explosif des droits TV.
En temps normal, l’homme est discret. Il laisse volontiers le terrain médiatique à ses collaborateurs, comme Franck Haise ou l’ancien directeur général Arnaud Pouille. Mais ces derniers mois, le fondateur du fonds Amber Capital a haussé le ton. L’un des moments marquants de sa prise de parole publique ? Sa critique tranchante de la politique tarifaire de DAZN, diffuseur de la Ligue 1. “L’erreur DAZN est pire que celle de Mediapro”, a-t-il lâché, en référence au fiasco de l’ancien diffuseur espagnol.
Et ce n’est pas tout. Grâce à des fuites d’enregistrements issus des conseils d’administration de la LFP, les amateurs de foot ont découvert un Oughourlian pugnace, dénonçant une “bêtise collective” dans la gouvernance actuelle et n’hésitant pas à s’opposer à des figures comme Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG.
Une prise de pouvoir plus assumée à Lens
Si Joseph Oughourlian fait désormais entendre sa voix, ce n’est pas un hasard. Depuis l’été 2023, il a renforcé son implication directe dans la gestion du RC Lens, en actant notamment le départ d’Arnaud Pouille pour divergences stratégiques. C’est aussi dans ce contexte qu’il critique la politique de recrutement, en particulier l’achat d’Elye Wahi pour 30 millions d’euros : “Je ne pense pas que l’on va revoir le Racing dépenser ce type de montant de si tôt.”
Le message est clair : pour Oughourlian, il est temps de revenir à une gestion rigoureuse, alignée sur les recettes réelles du club, malgré une participation à la Ligue des champions. “On n’a pas mis ce que j’aurais aimé que l’on mette de côté pour avoir une stabilité financière”, a-t-il regretté, appelant à retrouver une “intelligence sportive” perdue selon lui depuis un an et demi.
Un homme de chiffres et de stratégie
Cette volonté de rationalité financière n’a rien de surprenant au regard de son parcours. Né en 1972, Joseph Oughourlian est le petit-fils d’un vice-gouverneur de la Banque centrale du Liban. Après des études à Sciences Po Paris et à la Columbia University, il débute à la Société Générale à New York. C’est là qu’il découvre le monde de la finance, auquel il ne cessera plus d’appartenir.
En 2005, il fonde Amber Capital, un fonds d’investissement activiste basé à Londres. Son modèle ? Investir dans des entreprises sous-performantes, influer sur leur gouvernance, puis tirer profit des changements opérés. “Il y a beaucoup de choses à faire dans le capitalisme français”, a-t-il glissé un jour avec un sourire en coin sur BFM Business.
Une ambition qui dépasse le football
Le RC Lens n’est pas la seule aventure de Joseph Oughourlian dans le sport. Il a également investi dans le club colombien Millonarios de Bogota en 2015 – une démarche sentimentale autant que stratégique, puisque sa grand-mère est originaire de Colombie. Il est aussi passé par Padoue (Italie) et Saragosse (Espagne), preuve de son appétit pour les clubs à fort potentiel mais en difficulté structurelle.
Mais c’est surtout dans les médias qu’il s’est taillé une place importante. Amber Capital détient aujourd’hui près de 30 % du groupe espagnol Prisa, éditeur des journaux El Pais et AS, ainsi que de la radio Cadena SER. Depuis 2021, il en est le président. Une position puissante mais instable, menacée par des tensions politiques avec des actionnaires proches du gouvernement de Pedro Sanchez.
Le tombeur de Lagardère
S’il fallait une preuve de son influence réelle, elle se trouve dans le bras de fer qu’il a mené contre Arnaud Lagardère. Avec l’aide du groupe Vivendi de Vincent Bolloré, Joseph Oughourlian a joué un rôle majeur dans la prise de contrôle du groupe Lagardère, en dénonçant sa gouvernance défaillante et en poussant à un changement stratégique. “On a fait notre travail”, a-t-il résumé froidement. Cette opération a permis à Bolloré de prendre le contrôle d’Europe 1, du JDD et de Paris Match, au grand dam de certains journalistes.
Et maintenant, la LFP ?
Reste une question : jusqu’où ira Joseph Oughourlian dans le football français ? Ses critiques répétées contre la LFP, son flair stratégique et sa capacité à s’entourer laissent entrevoir une ambition plus grande encore. Certains l’imaginent jouer un rôle central dans une future réforme de la gouvernance du football professionnel français.
En attendant, il continue de faire entendre sa voix, avec un ton plus libre, plus dur aussi. Sans chercher la lumière, il l’attire malgré lui. Et dans un écosystème souvent verrouillé, sa parole tranche. Comme une alerte lancée à ceux qui pensent que tout peut continuer comme avant.