Réforme du sport professionnel : les ligues dénoncent une loi « centrée sur le foot » et un risque de chaos pour le modèle français

Les principales ligues de sport professionnel montent au front contre une proposition de loi qu’elles jugent trop focalisée sur le football et dangereuse pour l’équilibre du modèle français. Dans une lettre adressée aux sénateurs porteurs du texte, elles dénoncent un manque total de concertation et alertent sur les dérives potentielles d’un projet perçu comme déséquilibré, voire menaçant pour la diversité des disciplines.
Un front commun contre une réforme jugée biaisée
C’est une fronde rare dans le paysage sportif français. Mercredi dernier, sept présidents de ligues professionnelles – représentant le football, le basket, le rugby, le cyclisme, le handball, le volley-ball ainsi que l’Association des ligues de sport professionnel – ont adressé une lettre cinglante aux sénateurs Michel Savin et Laurent Lafon, auteurs d’une proposition de loi visant à réformer le sport professionnel.
« L’architecture de la proposition de loi emporte en effet un risque de fragilisation des ligues et de déstabilisation du modèle sportif français », écrivent les signataires, dont Vincent Labrune (LFP), Philippe Ausseur (basket) ou encore Yann Roubert (rugby).
Ils y expriment leur « totale incompréhension » et un « profond désaccord » avec un texte qu’ils considèrent comme construit « au seul prisme du football », et sans la moindre concertation avec les autres disciplines.
Une loi « façonnée sans nous », selon les ligues
Les présidents des ligues dénoncent avec fermeté le manque de dialogue de la part des sénateurs.
« Jamais, au cours de [leurs] travaux, [les sénateurs n’ont] sollicité un échange avec les ligues professionnelles concernées », peut-on lire dans la missive.
Selon eux, le texte déposé le 19 mars au Sénat ne prend en compte que les travaux issus de la mission d’information sur la financiarisation du football, menée par les mêmes parlementaires. En conséquence, il ne reflète en rien la diversité du sport professionnel en France.
Un reproche majeur : l’absence d’analyse spécifique des modèles économiques propres à chaque sport.
« Plusieurs d’entre eux ont développé des modèles propres (…) pour certains des références européennes voire mondiales de leur discipline », rappellent les signataires. Ils citent notamment le Top 14, championnat de rugby français reconnu comme le meilleur au monde.
Une loi qui pourrait renforcer les dérives privées
Le point le plus sensible du texte concerne une disposition qui autoriserait les fédérations à retirer aux ligues la subdélégation de service public en cas de « manquement à l’intérêt général de la discipline ».
Une mesure directement perçue comme une menace contre la Ligue de football professionnel, mais qui, si adoptée, pourrait s’appliquer à toutes les ligues professionnelles.
« L’organisation du sport professionnel français ne peut être ainsi bouleversée à l’aune de la situation d’une seule discipline », préviennent les présidents dans leur courrier.
Et de rappeler que plusieurs fédérations ont connu de graves crises ces dernières années, sans qu’aucune réforme systémique n’ait été imposée à l’ensemble du modèle.
« Nous notons (…) que les graves crises traversées par certaines fédérations ne conduisent pas – et c’est heureux – à une remise en cause globale ni à une attaque du modèle fédéral », insistent-ils.
Vincent Labrune en première ligne
Dans un entretien accordé au journal Les Échos, Vincent Labrune, président de la LFP, est allé encore plus loin dans la critique. Il dénonce « un article qui donne potentiellement un droit de vie ou de mort aux fédérations sur toutes les ligues professionnelles. »
« C’est une vraie ligne rouge, comme il me semble pour l’ensemble des ligues », prévient-il, appelant à une réaction unie du mouvement sportif professionnel.
Un appel au dialogue, pas à la confrontation
Malgré leur opposition, les ligues ne rejettent pas en bloc l’ensemble du projet. Elles saluent au contraire les mesures visant à renforcer la lutte contre le piratage, un fléau qui affecte gravement la diffusion et la monétisation de leurs compétitions.
« L’ensemble du mouvement sportif ainsi que les diffuseurs » appellent depuis longtemps à un arsenal juridique plus robuste pour protéger leurs droits audiovisuels, affirment-elles.
Elles disent également ne pas s’opposer à une volonté de renforcer la transparence des ligues, mais dénoncent la méthode, qu’elles jugent trop brutale, unilatérale et footballo-centrée.
Les signataires réclament donc à être auditionnés par les sénateurs, et espèrent pouvoir participer à l’élaboration d’une réforme plus équilibrée et représentative des réalités du terrain.
Le spectre de la Super Ligue en toile de fond
Dans leur lettre, les présidents mettent aussi en garde contre un effet pervers inattendu de cette réforme : celui d’encourager les projets de compétitions privées.
« En l’état la proposition de loi accélérera inéluctablement les projets de compétitions privées (…) sur lesquelles nos instances n’auraient pas de contrôle », avertissent-ils.
Une référence directe au projet avorté de Super Ligue européenne, dévoilé en 2021 par douze grands clubs du continent, dont certains clubs français craignent encore le retour.
C’est exactement ce type de dérive que les auteurs de la proposition de loi entendent éviter, mais pour les ligues, la réforme actuelle pourrait avoir l’effet inverse.